Ruptures

Cahier Questions numériques 2011-2012

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  • Publication : 2011
  • Ouvrage collectif sous la direction de Renaud Francou, Daniel Kaplan, Jacques-François Marchandise et Véronique Routin
  • Accompagnement méthodologique : Nod-A
  • Conception graphique : Isabelle Jovanovic
  • Pdf 6,1 Mo – 45 pages
  • CC-BY 2.0
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Présentation

Après avoir travaillé en 2010-2011 sur les «tensions», nous avons choisi en 2012-2013 de nous intéresser aux «ruptures» : quelles discontinuités, quelles bifurcations, quels basculements… pourraient-ils venir changer la donne dans un secteur, pour une catégorie d’acteurs, sur un marché ou pour tout le monde ? Comment anticiper ces ruptures et leurs conséquences ? Comment en faire des opportunités ?

Crise ou nouveau départ ?

La crise économique et écologique joue un rôle central dans la majeure partie des scénarios. Elle force à revisiter nos scénarios d’avenir : il va falloir faire des choix, prévoir sous contrainte financière, faire flèche de tout bois. Nul ne semble douter que le paysage économique et social d’après-crise diffèrera profondément de celui du début des années 2000.

Une nouvelle exigence visàvis des technologies

Ça commence par une désillusion : le numérique, dont on attendait tant, ne nous a pas immunisés contre les crises. Il n’a pas non plus produit un modèle de croissance plus vertueux, d’un point de vue écologique ou social. Certains disent même : au contraire !

En résulte, d’abord, la montée d’une exigence critique. L’enthousiasme partagé vis-à-vis du numérique a masqué ses nombreux dysfonctionnements, ses effets parfois nuisibles. On prend conscience des « embarras numériques », du temps que chacun passe à gérer ses appareils, logiciels et contenus, et de l’incroyable légèreté des industriels vis-à-vis de ces coûts invisibles. On cherche à se libérer d’un excès de dépendance vis-à-vis des réseaux et des services numériques et, ce faisant, on regarde la perspective du cloud computing d’un oeil plus suspicieux. On tire un bilan mitigé du développement des pratiques numériques dans le travail : et s’il fallait casser la tendance à l’accélération qui produit stress, disqualité et court-termisme ? Et si les salariés, organisés via les réseaux sociaux, en venaient à renverser un management qui leur demande tout et son contraire ?

Du coup, les ruptures d’origine technologique n’ont pas rencontré le même intérêt que les autres. Pourtant, les perspectives et les questions qu’ouvrent le développement fulgurant de l’usage des neurosciences, ou l’augmentation technique des capacités physiques et mentales des humains, sont vastes. Mais cette année, les participants ont préféré débattre d’économie et de société.

L’innovation « indignée »

La dureté et la durée de la crise, ainsi que notre incapacité collective à produire une croissance moins destructrice de l’environnement et des hommes, remettent en cause le coeur de notre modèle de développement fondé sur la consommation, la croissance, la vitesse. Un peu partout dans le monde (sauf dans la patrie de Stéphane Hessel), les « indignés » s’imposent dans l’espace public. Mais il y a aussi des innovateurs indignés, qui expérimentent des nouveaux modèles parce qu’ils sont convaincus que les anciens sont néfastes. Pour réduire la « base matérielle » de la croissance, inventons des modèles économiques fondés sur l’usufruit plutôt que la propriété, sur le partage plutôt que la possession. Imaginons une réindustrialisation de proximité, avec des produits plus durables, réparables, bricolables, recyclables. Appuyons-nous sur la capacité contributive des gens, mais à condition d’en partager avec eux le produit…

Cette innovation « indignée » souligne les limites des politiques en « e », e-éducation, e-santé, e-administration, ou encore des « smart » cities, grids, etc. Il ne suffit pas d’appliquer des technologies aux modèles existants pour les rendre vertueux, il faut changer de modèles. Saurait-on casser l’unité de temps, de lieu et d’action qui caractérise l’éducation, sans pour autant la rendre encore plus inégalitaire qu’aujourd’hui ? Saurions-nous prendre en compte la participation active des patients à des réseaux d’échange d’information et d’entraide dans le calcul de leurs droits sociaux ?

à l’inverse, si nous ne faisons rien, vivrons-nous demain dans des villes spécialisées, « sérénité », « culture » ou « nature », que nous aurons sélectionnées sur le web en lisant leurs Conditions Générales de Ville (CGV) ?

L’empowerment, puissance et fragilité

Le numérique redistribue de l’information et du pouvoir. Il le fait en particulier au bénéfice des individus, encore que ça n’ait rien d’automatique : les exemples abondent, où l’informatisation bénéfice d’abord aux pouvoirs (économiques et politiques) en place, ou encore au management des entreprises plutôt qu’à leurs collaborateurs. Mais cette asymétrie paraît de moins en moins acceptable. Que se passerait-il, alors, si les entreprises et les administrations se mettaient à partager avec les individus les informations dont elles disposent sur eux, pour qu’ils en fassent ce qu’ils veulent ? Et si un nombre croissant de salariés préféraient choisir leur rythme de travail et cumuler plusieurs activités, plutôt que de remettre les clés de leur destin à un seul employeur ?

L’empowerment des individus déborde du lit du numérique. Avec son aide, l’« économie de la contribution » concerne aujourd’hui la conception et la production d’objets, d’espaces, de services collectifs. Jusqu’où ? Quels secteurs connaîtront-ils demain des mutations aussi radicales que celles que subissent aujourd’hui les médias ou les industries culturelles ? Mais en même temps, qui bénéficie vraiment de cette nouvelle distribution des pouvoirs ? Pour recevoir un pouvoir, il faut y être apte ; sinon, on ne fait qu’y perdre les protections que garantissaient les anciennes formes de domination.

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